Autrefois Progné l'hirondelle
De sa demeure s'écarta,
Et loin des villes
s'emporta
Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.
« Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue :
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace, habiter parmi nous.
Dites-moi, que
pensez-vous faire?
Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
- Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux? »
Progné lui repartit: « Eh quoi? cette musique,
Pour ne chanter qu'aux
animaux,
Tout au plus à quelque
rustique?
Le désert est-il fait pour des talents si beaux?
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles.
Aussi bien, en voyant les
bois,
Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
Parmi des demeures
pareilles,
Exerça sa fureur sur vos divins appas.
- Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas:
- En voyant les hommes,
hélas!
II m'en souvient bien
davantage. »
Jean de La Fontaine, Fable XV,
Livre III.