Un homme chérissait éperdument sa chatte;
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait1 d'un ton
fort doux:
Il était plus fou que les
fous.
Cet homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par
charmes,
Fait tant qu'il obtient
du destin
Que sa chatte, en un beau
matin,
Devient femme; et, le
matin même,
Maître sot en fait sa
moitié.
Le voilà fou d'amour
extrême,
De fou qu'il était
d'amitié.
Jamais la dame la plus
belle
Ne charma tant son favori
Que fait cette épouse
nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il n'y trouve plus rien
de chatte.
Un soir quelques souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le repos des nouveaux mariés.
Aussitôt la femme est sur
pieds.
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, femme d'être en posture :
Pour cette fois elle accourut à point;
Car, ayant changé de
figure,
Les souris ne la
craignaient point.
Ce lui fut toujours une
amorcé,
Tant le naturel a de
force.
Il se moque de tout, certain âge accompli.
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli?
En vain de son train
ordinaire
On le veut désaccoutumer:
Quelque chose qu'on
puisse faire,
On ne saurait le
réformer.
Coups de fourche ni
d'étrivières
Ne lui font changer de
manières;
Et fussiez-vous
embâtonnés,
Jamais vous n'en serez
les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte
au nez,
Il reviendra par les
fenêtres.
Jean de La Fontaine, Fable XVIII,
Livre II.