L'aigle, reine de l'airs, avec Margot la pie,
Différentes d'humeur, de
langage, et d'esprit,
Et d'habit,
Traversaient un bout de prairie.
Le hasard les assemble en un coin détourné.
L'agasse eut peur; mais l'aigle, ayant fort bien diné,
La rassure, et lui
dit : « Allons de compagnie;
Si le maître des dieux assez souvent s'ennuie,
Lui qui gouverne l'univers,
J'en puis bien faire autant, moi qu'on sait qui le sers
Entretenez-moi donc,
et sans cérémonie. »
Caquet-bon-bec alors de jaser au plus dru.,
Sur ceci, sur cela, sur tout.
L'homme d'Horace,
Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su
Ce
qu'en fait de babil y savait notre agasse.
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,
Sautant, allant de place en
place,
Bon espion, Dieu sait. Son offre ayant déplu,
L'aigle lui dit tout
en colère:
« Ne quittez point votre séjour.,
Caquet-bon-bec, ma mie; adieu; je n'ai
que faire
D'une babillarde à ma cour:
C'est un fort méchant caractère. »
Margot ne demandait pas mieux1.
Ce n'est pas ce qu'on croit que d'entrer chez les dieux. :
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses,
Rediseurs, espions, gens à
l'air gracieux,
Au cœur tout différent, s'y rendent odieux :
Quoique ainsi que la pie il faille dans ces lieux
Porter habit de deux
paroisses.
Jean de La Fontaine, Fable XI,
Livre XII.
L'Aigle et la Pie
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré
L'Aigle et la Pie
Fable de Jean de la Fontaine
Illustration de Gustave Doré