Un chat, nommé Rodilardus,
Faisait des rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais
pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et
au loin
Le galand alla chercher
femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dam,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité
présente.
Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opinas qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;
Qu'ainsi, quand il irait
en guerre,
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre;
Qu'il n'y savait que ce
moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen:
Choses ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit: « Je n'y vas point, je ne suis pas si sot »,
L'autre: « Je ne saurais. » Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de
chanoines.
Ne faut-il que
délibérer,
La cour en conseillers
foisonne;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus
personne.
Jean de La Fontaine, Fable II,
Livre II.
Conseil tenu par les rats
Illustration de Oudry
Fable de La Fontaine